Tout commence le 10 février 2019.

Après la fondue savoyarde de la veille, j’ai grand besoin d’aller marcher pour digérer tout ça. Je sais bien que j’ai trop mangé mais que voulez-vous je suis gourmande, et surtout… je suis faible face au fromage. J’ai beau savoir que la digestion est plus lente quand on est enceinte, je ne suis pas raisonnable pour autant !

Me voilà donc partie pour une heure de marche au grand air durant laquelle je décide de papoter avec mes abonnés sur Instagram. C’est ce jour-là que je décide de diffuser publiquement la cagnotte destinée à faire une commande groupée de mon livre. Avec beaucoup d’ambition, je décrète que je vais faire un live Instagram par jour jusqu’au 20 février.

20 février : le jour du terme, DPA pour les intimes, Date Prévue d’Accouchement ou Date Présumée d’Accouchement ? Étant donné que rien ne laisse présager que cette enfant sorte plus tôt que prévu, je fais des plans sur la comète. D’ailleurs, si tu étais là pendant le live Instagram, je te vois déjà ricaner d’ici. Tu as le droit hein !

J’avais le pressentiment qu’elle arriverait parmi nous le 7 février, le même jour que la sortie présumée de mon livre. Figure-toi que cette journée a été on ne peut plus banale, puisque rien ne s’est passé comme prévu.

Donc, 10 février 2019, pas de signes avant-coureurs… Alors, allons-y gaiement !

Sauf que…

Là encore…

Les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu…

Sur la route du retour, alors que je papote toujours avec mes abonnés sur Instagram, je ressens régulièrement le besoin de m’arrêter. Ça me lance de temps en temps dans le bas du dos. Puis, ça s’arrête. Aucune douleur dans le ventre. Bon… Ce n’est pas ça. Enfin… J’en sais rien. Je n’ai jamais eu de contractions de ma vie. Et puis c’est gérable… Ça doit être parce que je me sens un peu lourde à cause de la fondue. En plus, ça fait un moment que je marche. Là encore, si tu étais présente lors de ce Live Instagram, je t’imagine bien en train de te fendre la poire. Vous étiez quelques-unes à faire vos pronostics et c’était assez drôle !

Arrivée à la maison, je décide de prendre un bain pour me détendre un peu. Toujours pour terminer ma digestion de la fondue de la veille, n’est-ce pas ? Alors que je suis allongée en mode détente, ça me lance toujours dans le dos de façon régulière… Hum… hum… c’est bizarre… Je n’ai jamais ressenti ça. D’habitude, quand j’ai mal au dos, ça ne me lance pas comme ça quand je prends un bain. Étrange… De plus, ça me lance par intermittence. Ce n’est pas une douleur permanente.

Au bout d’un moment, je sors du bain. Sachant que je vais avoir quelques minutes de répit, je décide de refaire mon bleu dans mes cheveux et un masque sur mon visage. Ça va me faire du bien et m’occuper un peu, au lieu de focaliser sur ces trucs vraiment bizarres qui débarquent au creux de mes reins. C’est comme un courant électrique qui élit domicile quelques secondes puis disparaît comme par magie.

Pendant le temps de pause, je vais chercher mon ballon qui me sert de chaise de bureau et je télécharge une application pour calculer l’intervalle entre chaque « décharge électrique ». À ce stade, je n’en parle pas encore à Thomas. Premièrement, parce que je ne suis pas encore sûre que ce soit vraiment ça. Deuxièmement, pour ne pas l’affoler pour rien…

Vingt minutes plus tard, je prends une douche. Je ne fais jamais ça d’habitude. Je ne prends jamais une douche alors que je viens de prendre un bain. Décidément, rien ne se passe comme d’habitude là… L’eau chaude qui coule sur mon dos me fait du bien. Je reste un moment sous la douche, puis je continue ma routine « beauté ».

Une fois coiffée, huilée, habillée, je descends mon ballon au rez-de-chaussée. Je fais des mouvements dessus, accompagnée par mon application qui compte pour moi l’intervalle entre chaque « contraction ». A ce stade, supposons que ce sont des contractions…

Mon cher et tendre débarque. Le fait que je fasse du ballon ne l’intrigue pas plus que ça, mais tous ces chiffres sur mon téléphone lui mettent la puce à l’oreille. Euh… oui, ça me lance un peu dans le dos. Mais je ne suis pas sûre que ce soit ça hein… Mais je compte quand même, parce que ça me lance, puis plus rien. Pas de quoi s’affoler, ce n’est pas vraiment régulier. Je te passe les détails de la tête qu’il fait quand il voit que les intervalles entre ces « supposées contractions » sont de 2 minutes, 3 minutes, 5 minutes… « Han ! Mais c’est régulier là, je ne sais pas ce qu’il te faut ! » Ah bon ? Tu crois ?

Il appelle notre sage-femme sur le champ. C’est non négociable apparemment alors je laisse faire. Juliette me suggère de reprendre un bain. Si ça ne se calme pas, nous pouvons venir à la maison de naissance. On pourrait se poser « comme à la maison ». Puis, si c’est vraiment ça, on sera sur place. Nous avons une heure de route.

Je reprends un bain et ça ne se calme PAS DU TOUT. Thomas met les valises dans la voiture et nous voilà partis ! Je m’installe à quatre pattes à l’arrière et pose mes avant-bras sur le ballon. Le trajet se passe super bien. Au bout d’un moment, je lâche mon application. Je me rends à l’évidence que contractions ou pas, ces choses qui me lancent dans le dos se manifestent de manière très régulière. Il est clair que je n’aurais pas tenu assise sans bouger pendant une heure dans les routes de montagne.

Il doit être dans les 15H30-16H lorsque nous arrivons à Doumaïa. Je choisis notre chambre pendant que Thomas décharge la voiture. Je m’assois sur un ballon. Je dis à Juliette et aux sages-femmes de soutien qui l’accompagnent que je suis impressionnée de constater qu’entre chaque contraction, tout paraît on ne peut plus normal. A ce stade, j’ai toujours le sourire et j’arrive à tenir une conversation entre deux vagues.

Il est 16H34, la dernière fois que je vois l’heure. Je ne veux plus voir l’heure qu’il est. Je cache la pendule de mon champ de vision. J’ai besoin de vivre uniquement dans l’instant présent. Je n’ai pas envie de savoir depuis combien de temps ça me lance. Je n’ai pas non plus envie de projeter combien de temps ça va durer.

Il semble que le travail a commencé. Les contractions se font de plus en plus intenses mais le temps de répit que j’ai entre-deux me permet de reprendre des forces pour accueillir la prochaine vague. Je marche, je respire, je fais confiance à mon corps pour trouver la position dont il a besoin à chaque instant. J’alterne entre quatre pattes, accroupie et mouvements de bassin sur le ballon. Thomas commande des sushis pour le soir même. Je n’en verrais pas la couleur avant une durée indéterminée…

Lorsqu’une vague arrive, je demande à Thomas de me masser très fort le bas du dos. Le pauvre, il a l’impression de m’arracher le bas du dos et moi je lui demande d’appuyer encore plus fort.

Le temps passe mais je ne sais pas si c’est le jour ou la nuit. Les volets sont fermés et nous sommes dans une ambiance « lumière tamisée ». J’entre dans une faille temporelle. Je vagabonde, le corps nu. Je prends un bain. Je demande à ce qu’on me fasse couler le jet d’eau chaude dans le bas du dos. J’ai ramené de quoi grignoter mais je n’ai pas faim du tout. Je suis incapable d’avaler quoi que ce soit, à part de l’eau. On m’amène régulièrement de l’eau citronnée que je bois à la paille, histoire de prendre un peu de sucre. Je sors du bain. Je me suspends à une écharpe.

Avec Juliette, notre sage-femme – crédit photo : Thomas

Les sages-femmes se relaient pour m’accompagner dans ce voyage.  Thomas est parfois présent, parfois absent. Au bout d’un moment, je ne sais même plus qui se trouve dans la pièce. J’entre dans une autre dimension que je ne saurais décrire. Le travail avance. Le travail avance très très très lentement mais ça avance… Les vagues se font de plus en plus intenses et sont de plus en plus rapprochées. Je reprends un bain, puis j’en sors, puis je refais toutes les positions possibles et imaginables. Je vomis aussi. Plusieurs fois. Il paraît que lorsqu’on vomit, c’est que c’est bientôt la fin, mais là, PAS DU TOUT.

On écoute régulièrement le cœur du bébé qui a l’air en pleine forme ! Franchement, j’ai l’impression qu’elle fait la sieste. Je ne la sens pas du tout descendre. Dans les livres, ils disent qu’à un moment, on ressent une forte envie de pousser. Ce moment n’a pas du tout l’air d’arriver ! 

Je fais des sons graves pour accompagner toute cette intensité. J’inspire, puis j’expire à chaque contraction. Je mets du sens dans tout ce processus. Je sais pourquoi je suis là. Je me connecte à notre fille. Je tente de communiquer avec elle, même si j’ai l’impression qu’elle fait la sieste ou qu’elle est en train de se la couler douce dans sa piscine pendant que je traverse le désert. Je fais des mouvements avec mon bassin pour tenter de la faire descendre.

Je ne sais pas quelle heure il est. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Le travail avance toujours très très très lentement et la poche des eaux ne s’est toujours pas rompue. Des fois, quand je suis dans la baignoire, j’essaie de pousser mais ça ne fait rien. On est bien loin du cliché de la nana qui perd les eaux d’un coup et qui accouche une heure après !

Les décharges électriques que je ressens dans le bas du dos se font de plus en plus intenses. Je commence à pousser des cris. Je deviens comme une lionne en cage ! J’ai de plus en plus de mal à marcher, mais je suis quand même mieux debout qu’allongée. La pire des positions : allongée sur le dos. Je comprends toutes ces femmes pour qui c’est insupportable d’être allongée pendant plus d’une demie-heure, branchée à un monitoring, à qui l’on demande de ne pas bouger. Quand je m’allonge pour qu’on m’examine, je ne tiens même pas deux minutes.

Le travail avance toujours très lentement. Je perds un peu de sang depuis plusieurs heures déjà. On peut me suivre à la trace ! Il paraît que c’est bon signe. C’est que mon col travaille. Mon col travaille d’accord mais je commence à désespérer…

Ça y est ! Je bascule de l’autre côté. J’en ai marre. Je n’en peux plus. J’entre dans ce qu’on appelle « la phase de désespérance ». Je saurais plus tard que ce n’est qu’au bout de 30 heures de contractions, que je commence à perdre pied.

Delphine arrive pour remplacer Juliette. Je reprends un énième bain. Puis, je vagabonde à nouveau… Je pousse des cris. Je commence à avoir du mal à respirer correctement. Ma seule échappatoire, c’est de crier. La douleur est si intense, presque paralysante. Je ne sais plus quoi faire. Je n’en peux plus. Je suis à bout. C’est comme si on me mettait des coups de Taser électrique dans le bas du dos. Thomas me dira plus tard que c’était difficilement supportable pour lui de me voir dans cet état.

Delphine m’examine pendant une contraction pour analyser ce qui se passe. Apparemment, bébé descend, puis remonte…C’est tellement subtil que je ne le sens même pas. La solution pour débloquer cette situation serait de rompre manuellement la poche des eaux. Elles ne peuvent pas le faire ici, en maison de naissance.

Delphine me parle de transfert à la maternité. Non !!! C’est tout ce que je ne voulais pas !!!

Elle prononce le mot interdit : « péridurale ». Ah ! Non ! J’avais dit « jamais de la vie !!! »

Sauf que là, je suis au bout de ma vie. Je ne sais plus quoi faire.

Delphine trouve les mots qui rassurent. Elle me fait prendre conscience de tout ce chemin parcouru. Je ne dois pas considérer ce transfert comme un échec. Je vais rencontrer mon bébé. Nous allons rencontrer notre bébé. Même si je demande la péridurale, ce n’est pas un échec. Ça peut me permettre de reprendre des forces pour accueillir notre enfant.

Je ne remercierais jamais assez toute l’équipe qui m’a accompagnée jusque là, avec tant d’amour, de patience et de bienveillance. Sans lui, sans elles, je ne serais jamais allée aussi loin dans ce voyage initiatique.

J’accepte le transfert.

Deux cent mètres nous séparent des urgences de la maternité. Je me tortille sur le brancard. Rester sur le dos m’est difficilement supportable. A chaque contraction, je pousse des cris. Je n’ai quasiment plus de temps de pause entre-deux. Nous arrivons dans une salle où nous sommes accueillis par deux sages-femmes. Je ne me souviens plus comment je suis passée du brancard à la table d’accouchement. On me met sous monitoring. Je commence à paniquer. « C’est hors de question que je reste allongée sur le dos, accrochée à ce truc !!! » Je suis en colère, je crie, je crois que je ne suis pas super aimable… et les sages-femmes me parlent calmement. Elles sont au courant que je viens d’encaisser plus de 30 heures de contractions douloureuses. J’imagine que j’ai des circonstances atténuantes…

Une sage-femme m’informe sur la suite des évènements. Soit elle rompt la poche des eaux maintenant mais je dois savoir les contractions seront plus douloureuses. J’imagine que la panique se lit dans mes yeux !!! Sinon, l’anesthésiste est dans le coin et peut me poser la péridurale. J’avais dit « jamais de la vie » mais je lâche prise, je lâche le contrôle et j’accepte. L’anesthésiste est une femme drôle, à l’accent chantant espagnol. Je lui dis que j’ai peur de la péridurale. Elle m’explique tout ce qu’elle fait. Sa bonne humeur et sa joie de vivre me mettent en confiance. Elle démonte sans le savoir tous les a priori que j’avais sur les anesthésistes. Je me suis toujours imaginée un mec super froid, limite hautain, qui ne dit pas un mot. Je me sens respectée. Chaque personne qui s’occupe de moi me demande l’autorisation et m’explique chacun de ses actes.

Dès que la péridurale commence à faire son effet, la sage-femme procède à la rupture de la poche des eaux avec un ustensile qu’elle me montre. A un moment, je ne sais plus si c’est avant ou après… elle me fait une échographie pour voir comment la tête de cette petite est engagée. Je crois que je somnole un peu, puis la douleur revient. Thomas va chercher quelqu’un ! La péridurale s’est débranchée. On me réinjecte une dose. Je sens toujours mes jambes. Je sens aussi lorsque l’on me touche. Je ne ressens pas de douleur. J’avais tellement peur de ne rien sentir du tout, d’être comme paralysée… Mais ouf ! Ça va ! On ne m’a pas injecté une dose de cheval !

Là encore, je n’ai toujours pas la notion du temps. Les deux sages-femmes reviennent en me disant qu’on va se préparer pour la poussée. Euh… Ok… C’est-à-dire ? Je me retrouve dans la position que je ne voulais surtout pas, mais à ce stade je n’oppose pas de résistances. Elles me demandent de pousser à chaque contraction, sauf que je ne sens plus mes contractions, alors je suis complètement démunie. Je ne sais pas vraiment ce que je suis censée faire. De plus, lors de ma préparation à la naissance, je n’étais pas censée pousser, j’envisageais de laisser faire mon corps, de lui faire confiance dans ce processus totalement physiologique. Sauf que là, je suis allongée sur le dos, les jambes en l’air. Je ne sens pas mes contractions et je dois pousser je ne sais pas comment… Les deux sages-femmes qui m’accompagnent m’expliquent ce que je dois faire et m’encouragent dans ce processus. Je pousse 3 fois, je crois, et là, elles me demandent si je veux attraper ma fille. « Ah bon ? Elle est déjà là ??? » dit la meuf qui vient de mettre presque deux jours à accoucher !!!  Ça me fait sourire, cette réaction que j’ai eu à ce moment là. J’attrape notre fille et la pose sur moi. Je regarde Thomas. Il a la larme à l’œil. C’est magnifique. Et moi, je crois que je ne réalise pas très bien ce qui vient de se passer. Je ne m’attendais pas à rencontrer notre fille aussi vite. J’ai l’impression que ça fait à peine une heure qu’on est là, alors que ça fait 4-5 heures.

Olivia pleure. Elle est là. Elle est vraiment là. Elle est toute propre. Elle doit se demander ce qui se passe. Qu’est-ce que je fous là ? J’étais bien au chaud moi. On ne se souvient pas de notre naissance, mais j’imagine que ça doit faire un choc de passer de 9 mois dans un cocon tout chaud à ce monde qui s’agite !

On avait demandé à la garder en peau à peau avant de procéder à d’éventuels soins. Cependant, la sage-femme la trouve un peu bleue. Par sécurité, elle l’emmène pour vérifier si elle a assez d’oxygène. Thomas va avec elle et revient peu de temps plus tard, avec notre fille dans les bras. Nous restons en peau à peau pendant deux bonnes heures. Olivia fait sa première tétée. Je suis surprise de la voir aussi éveillée. Bref, notre fille est née le 12 février à 1h24.

Voilà. C’était le récit un peu long de notre accouchement. J’ai sûrement oublié des choses mais l’essentiel est là. Thomas a du mal à comprendre pourquoi je me suis infligée cela, mais ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Pour moi, je ne me suis pas infligée quoi que ce soit. J’ai vécu. Nous avons vécu un véritable voyage initiatique. Ce fut tellement intense que je me suis demandée si je n’étais pas en train de guérir des mémoires ancestrales. J’ai une pensée pour toutes les femmes qui accouchent depuis la nuit des temps. On dit qu’on oublie la douleur. C’est vrai. Enfin… je me souviens que c’était intense, mais j’ai l’impression que ça fait un siècle que j’ai traversé cela. Si c’était à refaire, je ne changerais rien.

Je suis allée jusqu’au bout de ce que je pouvais, même si je caresse le doux rêve que le prochain voyage soit 100% physiologique.